Lettre de campagne n° 1: Les turfistes, nouveaux experts politiques !

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« Il est une caractéristique des campagnes électorales qui semble s’être propagée (largement depuis les États-Unis) à l’ensemble des démocraties occidentales : le “horse-race reporting”, c’est-à-dire un traitement médiatique des campagnes qui les fait ressembler à des “courses de chevaux”.

En effet, une part importante de la couverture médiatique d’une élection consiste aujourd’hui à reporter quel candidat ou quel parti est “en avance” sur les autres, lesquels sont “en retard”, quelles sont les évolutions en la matière, et à spéculer sur l’issue de la compétition.  » Lionel Marquis, Les Cahiers du CEVIPOF, janvier 2005, p. 5.

On sent bien reprendre, depuis quelques temps, la folie sondagière.  Le débat public convoque toujours le même type d’expertise et somme toujours plus systématiquement les « experts » à se faire chroniqueurs hippiques, commentateurs des cotations que fournissent avec une prétention scientifique les sondages.

La vanité du débat sur la valeur des sondages

Sans doute l’opacité de la production sondagière ne facilite guère le raisonnement (les 4/5e des sondages politiques réalisés par les instituts français ne sont pas rendus publics). Sans doute avons nous vécu et vivons nous toujours des usages électoralistes de cette pratique. Certains se servant des sondages pour formuler les contours d’une proposition politique préalablement testée à la manière de Ségolène Royal en 2006-2007 ou de Macron ces derniers mois. D’autres, une fois au pouvoir, s’évitant, par ce recours sondagier, l’adoption de mesures identifiées ainsi comme impopulaires à l’instar de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012.

Les deux récentes primaires, LR et socialiste, ont montré comment spécialistes des sondages et conseillers en communication (les fameux spin doctors) ont sans doute contribué à la construction de propositions / postures qui, une fois la victoire acquise, s’avèrent vides (ou vidées) de tout contenu : la privatisation accentuée de la Sécurité Sociale dans le cas Fillon, le « revenu universel » ou « l’abrogation de la loi El Khomri » dans le cas Hamon.

On peut aussi penser comme Lionel Marquis que « l’importance accrue des sondages doit être également interprétée dans le contexte de « désalignement partisan », de la perte d’influence des partis politiques et de l’incertitude croissante au sujet des élections« .  Dans une Europe en crise économique et sociale, en crise institutionnelle et marquée par l’essor des extrêmes droites populistes et nationalistes, la crise de la politique, crise des institutions et crise de la représentation, ne fait guère de doute.

Pourtant, lorsqu’on s’intéresse de plus près à leur élaboration, aux critères qui fondent le redressement des résultats bruts auxquels ils procèdent, les sondages sont toujours conduits à façonner leurs échantillons et leurs résultats sur la base des élections précédentes ! Comme le disent les notices assez semblables, consultables sur le site de la commission nationale des sondages : « L’enquête a fait l’objet d’un redressement sociodémographique basé sur les critères ayant servi de quotas (sexe, âge, profession de la personne de référence, région et catégorie d’agglomération), sur le rappel de vote au 1er tour de l’élection présidentielle 2012 et sur le rappel de vote au 1er tour des élections régionales de 2015. » L’Enquête Kantar Sofres – OnePoint 26-27 janvier 2017 – d’où cette précision est extraite – présentait pour la première fois Hamon devant Mélenchon le soir du résultat de la primaire socialiste.

Le redressement (non expliqué comme dans la plupart des enquêtes), les résultats bruts non communiqués, l’échantillon (l’expression de 640-646 personnes quand la dernière vague IPSOS interrogeait près de 16000 personnes), la date de l’enquête (dans les deux jours précédents le résultat de la primaire socialiste) pouvaient légitimement conduire à s’interroger sur la valeur de ce sondage en particulier.

Plus sereinement il faut s’en tenir au rappel – déjà ancien – fait par Loïc Bondiaux de ce que n’est effectivement pas un sondage : il n’est ni une mesure, ni un reflet de l’opinion publique quand bien même l’opinion sondagière serait parvenue à exister comme une réalité !

De l’importance de s’informer et de débattre politiquement

Réduire le débat publique au pronostic argumenté du commentateur hippique est un travers auquel nombres d’acteurs politiques (pour des raisons qu’il faudra sans doute expliciter et discuter au cours de cette campagne) nous invitent et ne vont cesser de nous inviter à mesure qu’approche l’élection elle-même. La question de la cote est ainsi le seul critère d’appréciation quand des questions simplement politiques peuvent avoir des effets dévastateurs sur les prétentions des uns et des autres :

Qu’est-ce qu’un candidat dit de gauche a à apporter aux citoyens français ? De quel projet politique la gauche serait-elle le nom ?

Après plus 30 années de déconstructions libérales de l’État social français, d’intensification du travail et de massification du chômage, de destructuration du droit du travail et de contraction des droits des travailleurs, de financiarisation du capitalisme et de marchandisation de toute chose, après plus de deux siècles de croissance productiviste destructrice de la planète et de nos environnements de vie, quelleS ruptureS nous sont effectivement proposées ?

Quelle majorité politique pourrait porter une éventuelle rupture écologique et socialiste au lendemain de l’élection présidentielle ?

Répondre à ses questions impose que propositions et projets soient présentés pour être débattus et implique que les candidats investis aux législatives à venir soient autant engagés à les défendre que les candidats à la présidentielles dont ils sont appelés à se réclamer.

Nous vivons une période au cours de laquelle la « réalité » sondagière se construit sur l’irréalité (ou, du moins pour certains, l’irrésolution) des programmes.

Cela empêche que vive pleinement le débat démocratique. Cela ne pourra pas durer éternellement !

Cessons de jouer au PMU électoral, faisons connaître et comprendre nos propositions et débattons en avec qui voudra – c’est bien le sens de la campagne de la France insoumise dans laquelle nous avons décidé de nous inscrire !

LIRE ET FAIRE LIRE :

L. Blondiaux, « Ce que les sondages font à l’opinion publique, Politix, 37, 1997, p.128-129

L. Marquis, « Sondages d’opinion et communication politique », Les Cahiers du CEVIPOF, janvier 2005

REVUE DE PRESSE DE LA SEMAINE :

A écouter : la conception du rassemblement et la défense du bilan selon la ministre de l’Éducation nationale

A lire : le groupe socialiste renonce à se prononcer sur le CETA

A lire : Hamon : un programme abandonné avant d’avoir été porté

AGENDA :

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Réunion d’appartement : « Comment libérer le travail ? Quelle(s) politique(s) du travail ? »

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