La réforme de l’accès à l’université : un malthusianisme libéral ? (1/2)
Le gouvernement vient d’annoncer son projet de réforme de l’accès à l’université. Les problèmes d’inscription résultent du télescopage d’un facteur conjoncturel, l’arrivée aux portes du supérieur de la génération du mini baby-boom de l’an 2000, et de deux facteurs structurels, le sous-financement des universités que les lois Pécresse et Fioraso ont institué au nom d’une autonomie mortifère et des enjeux pédagogiques très anciens qui remontent aux années 80.
Engagées dans la mondialisation du marché des titres universitaires aiguillonnée par le benchmarking, les universités sont sommées de s’inscrire dans un processus de regroupements bureaucratiques pour atteindre une taille critique. Au printemps dernier, Arte a diffusé un documentaire intitulé “Etudiants, l’avenir à crédit” qui démontait les mécanismes de mise en concurrence des systèmes universitaires dans le monde et dont la pointe émergée est l’endettement croissant des étudiants dans. L’exemple britannique est significatif: la libéralisation de l’accès à l’université menée sous Blair s’est faite au prix d’une dette faramineuse dont l’Etat est en dernier ressort responsable. Face à l’augmentation considérable des frais d’inscription, de nombreux étudiants britanniques s’exilent dans des pays d’Europe où le droit d’accès est gratuit ou quasiment gratuit.
Les politiques à l’oeuvre sont par ailleurs soutenues de l’intérieur des systèmes universitaires. Avec la massification des systèmes d’enseignement supérieur et la tendance mondiale à la libéralisation des marchés, une nouvelle couche de dirigeants issue de l’université émerge qui n’ont plus grand rapport avec les doyens et autres présidents des XIXe et XXe siècles, dont en France la Conférence des présidents d’université est une des expressions. A la charnière du monde de la recherche et du monde économique, ils occupent une position stratégique et utilisent leur parole légitime pour conforter les évolutions marchandes du système de formation. Les enjeux économiques et de pouvoir sont suffisamment importants pour expliquer, par exemple, l’échec récent du projet Université Paris-Saclay.
La France est bel et bien engagée dans ce processus mondial de marchandisation de l’enseignement supérieur.
Cette politique est d’autant plus délétère que la France conserve la spécificité d’avoir 3 réseaux d’enseignement supérieur : les grandes écoles, l’université et le supérieur privé. Or, cette structure joue aux dépens des universités et de leurs étudiants. Ne pouvant répondre à la demande sociale d’études supérieures, c’est l’enseignement privé qui connaît une croissance importante. Dans ce processus concurrentiel, ce ne sont pas les étudiants de licence qui sont l’enjeu mais ceux de master. La crise financière de 2008 et les politiques austéritaires menées depuis se sont traduites par une baisse des dépenses par étudiants alors que leur nombre augmente fortement.
Les politiques publiques menées depuis les années 2000 ne peuvent donc qu’aggraver une faiblesse ancienne de l’université française, celle de l’encadrement pédagogique des étudiants de premières années. On ne fera pas la litanie des lois votées depuis les années 1980 destinées à réduire le taux d’échec en licence. Encore faudrait-il regarder de plus près ce que désigne l’expression « échec ». Certains chercheurs soulignent que ce terme globalise des situations très différentes, et qu’il correspond souvent à la recherche par les étudiants d’un parcours de formation leur convenant, autrement dit d’un processus d’orientation. Après tout, le taux d’échec en prépa médecine et en classes préparatoires aux grandes écoles est également très élevé, mais il est socialement accepté puisqu’il est destiné à sélectionner des élites.
C’est dans ce contexte que le gouvernement vient d’annoncer ses projets. Si la sélection n’est pas retenue comme principe régulateur, ces projets en instillent des éléments. Cette orientation politique ne peut que satisfaire l’électorat de droite et trouver une certaine audience au sein des classes moyennes qui espèrent y voire une chance de réussite supplémentaire pour leurs enfants.
Le projet de contraindre certains étudiants à suivre une année de remise à niveau conduira les bacheliers issus des catégories populaires à renoncer à l’université au profit des cursus courts, notamment dans les BTS dont le profil social populaire est de plus en plus fort.
Le projet de confier aux conseils de classe de terminale la mission de donner un avis sur les choix des élèves ne pourra qu’instituer une sélection. Même si ces avis seront consultatifs, les universités, face à l’afflux de dossiers à étudier, s’y rangeront certainement.
Jérôme Martin @GHS18