Le roman de la réforme scolaire de gauche

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Comme souvent dans les périodes préélectorales, tribunes, appels ou collectifs sectoriels fleurissent pour appeler à une vraie politique de gauche. Le système scolaire n’échappe pas à ce marronnier, bien au contraire. Un texte récent publié par Libération le 29 janvier sous le titre “Jean Zay, reviens vite, ils sont devenus fous” en fournit un nouvel exemple. Car à côté du roman national que les historiens déconstruisent, il en existe un autre, le roman de la réforme scolaire de gauche.

Le texte mobilise le syntagme « école » qui charrie toutes sortes de représentations mythiques et finalement, jouent le rôle de mot écran. Car l’école n’existe plus. Les signataires savent bien qu’à l’époque de Jean Zay, « l’école » était en fait constituée de 3 ordres d’enseignement cloisonnés et hiérarchisés. Il savent également que la conquête de l’école moyenne (collège) en France s’est faite avec d’énormes oppositions. Convoquer ce syntagme, c’est finalement relégitimer le mythe de l’école de Jules Ferry, fortement ancré dans notre société. Plutôt que d’école, mieux vaudrait parler de système scolaire qui souligne l’encastrement de filières de formation, diversifiées et hiérarchisées, dans une structure unifiée. Mais le roman scolaire repose également sur la mythologie réformatrice de gauche. 

La pensée totémique

Convoquer la figure de Jean Zay et la plan Langevin-Wallon revient à mettre en avant des marqueurs identitaires de gauche qui peuvent faire sens dans un petit milieu universitaire ou militant mais nullement dans la société, et très peu parmi les enseignants. 

La démocratisation scolaire promue dans cette période était celle d’une démocratisation de la sélection pour élargir le recrutement des élites aux élèves méritants de l’enseignement primaire. Pour Langevin-Wallon s’y ajoutait le projet d’une culture commune et d’une élévation générale des qualifications. Mais le cycle réformateur symbolisé par ces deux moments s’est clos avec les années 1950 et la transformation des structures scolaires. 1950 : allongement des scolarités, démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire, puis à l’enseignement supérieur. A partir des années 1960, à l’objectif de la démocratisation s’est substitué celui de “l’égalité des chances” avec la réalisation de l’école moyenne sous la forme du collège unique (Haby, 1975) qui a pris la forme d’un « petit lycée » .

La pensée autocentrée

Une des postures récurrentes de ce genre de texte est l’autocentrement des discours sur les personnels, en fait strictement sur les enseignants. Sans doute est-ce là un des problèmes de fond : il n’y a guère de sens à penser une réforme démocratique réduite à l’une des catégories d’acteurs. Dans le texte publié par Libération, les élèves sont peu présents et les autres acteurs sociaux – familles, syndicats de salariés, patronat, associations, etc. – sont absents. 

L’autocentrement, au regard des signatures de cette “tribune”, est plus restreint encore : seul l’enseignement secondaire général semble être objet de sa préoccupation. L’enseignement professionnel et technique est oublié alors qu’ils sont depuis les années 1980 un des principaux vecteurs de la démocratisation scolaire. Personne ne soupçonne les auteurs de l’ignorer mais ils n’en font pas un point de départ. 

Le roman de la réforme de gauche 

Inscrit dans la calendrier électoral, l’appel met en avant un référent problématique, la gauche, dont on sait par ailleurs sa fragilité et son éclatement.  À quoi se réfèrent les signataires ? 

Aux organisations politiques, dont les divisions sont telles qu’on voit mal en quoi les questions scolaires pourraient servir de base unitaire ? Aux confédérations qui ont accepté de laisser l’éducation, les questions éducatives et la formation professionnelle à des organisations autonomes et sectorielles ? Au milieu enseignant, dont toutes les enquêtes montrent les divisions et l’érosion de l’affiliation à la gauche ?

Plus encore, la  référence au Front populaire avec Jean Zay et à la Libération avec le plan Langevin-Wallon masque les 24 années au cours desquelles la “gauche” a été au pouvoir sous la Ve République (deux septennats de Mitterrand, le gouvernement Jospin et  le quinquennat de François Hollande). 

L’appel nous propose donc de prolonger le mythe pourtant bien affaibli de “politiques scolaires de gauche” sans même suggérer de les questionner. Quelles que soient la pertinence et la légitimité de telle ou telle proposition concrète, prétendre élaborer une politique de gauche en faisant l’impasse sur cette période en dit long sur la posture des signataires. Les réformes menées depuis 2017 aggravent les maux du système scolaire, c’est une évidence, mais les contradictions, les tensions et les clivages qui le traversent appellent une dynamique réformatrice puissante dont on ne voit pas les bases. Une étude récente portant sur les effets des dispositifs compensatoires destinés à diversifier socialement les grandes écoles a montré leur inefficacité. Or, ces dispositifs ont été soutenus par la droite et la gauche. Que penser d’une gauche qui n’envisage la réussite scolaire et sociale qu’au prisme des grandes écoles, bastion des classes supérieures ?

Ouvrir le débat avec les usagers du service public, leurs besoins, leurs aspirations, est une nécessité pour sortir des querelles stériles et mortifères opposant experts officiels et administrateurs d’un côté, syndicats d’enseignants et mouvements pédagogiques de l’autre. Des questions importantes restent en déshérence : le chantier de l’école primaire, la désecondarisation du collège, l’articulation du système scolaire aux enjeux de formation professionnelle et de qualification, la mise en place d’une culture commune, y compris dans sa dimension technique, la promotion professionnelle et sociale des salariés (viviers inexploités de véritables élites professionnelles et techniques), l’articulation  entre  territoires et système scolaire. 

Derrière la question scolaire se profile finalement la question sociale, surgie brutalement avec les « Gilets jaunes », celle des promesses non tenues de la démocratisation scolaire. Plutôt que d’en brandir le drapeau, cherchons plutôt, modestement, à en tisser les formes et les couleurs par la démocratisation du débat sur le système scolaire avec l’ensemble des usagers et des acteurs. 

Jérôme Martin @GHS