La Nupes, un succès en trompe-l’oeil

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La séquence électorale qui s’achève n’ a pas encore trouvé son issue. On peut toutefois esquisser quelques enseignements et interroger la stratégie des gauches

Les gauches relégitimées mais minoritaires

La stratégie d’union populaire qui s’est prolongée par l’alliance de la Nupes n’a pas totalement été couronnée de succès. Certes, les partis politiques membres de la Nupes ont obtenu des succès leur permettant de survivre après les lourds échecs à l’élection présidentielle. Pour autant deux échecs minorent ce succès : d’une part, la Nupes est loin d’obtenir une majorité, non seulement absolue mais aussi relative. D’autre part, la FI n’atteint pas à elle-seule la taille critique pour imposer une ligne politique à ses partenaires. Finalement, l’abandon de la stratégie populiste au profit de celle d’une union des gauches ne s’est pas traduite par une victoire. En dépit des déclarations d’auto-satisfaction des composantes de la Nupes et des mises en scène de la FI, force est de constater que son impuissance parlementaire est prévisible. Le dépit apparaissait déjà dans les déclarations de certains insoumis pointant la légèreté des jeunes abstentionnistes. Minoritaire dans une Assemblée nationale dominée par la droite et l’extrême-droite, la Nupes sera vite réduite à entretenir un bruit de fond, d’autant que son leader charismatique n’y siège plus.

Les 3 France

La droite, la gauche et la révolution ont longtemps constitué les trois forces politiques issues de la Révolution française et des transformations sociales du XIXe siècle. Alors que le camp de la révolution a longtemps été celui du mouvement ouvrier et communiste, le succès électoral du RN ne peut qu’ inquiéter car il marginalise les forces progressistes et démontre que, contrairement aux affirmations péremptoires d’un plafond de verre, les forces réactionnaires disposent d’une dynamique sociale. On retrouve ici l’ambiguïté des discours de la Nupes sur l’abstention car rien ne permet d’affirmer que les abstentionnistes se seraient massivement reportés sur elle. On pourrait même se demander si ce ne sont pas les gauches qui désormais ne sont pas à leur tour contraintes par un plafond de verre. L’urgence est donc là, attestée par deux échecs à l’élection présidentielle.

Le travail chaînon central des « chaînes d’équivalence »

L’une des maladies infantiles des gauches européennes est leur indifférence à la question du travail. Alors que leurs origines se trouvent dans les pensées du travail nées au XIXe siècle, elles se sont tournées vers des revendications salariales de partage des richesses, négligeant les conditions de leur production et des rapports sociaux de production. Même la stratégie populiste défendue par Laclau et Mouffe s’inscrit dans cette tendance, les « chaînes d’équivalence » au fondement de l’unification des contestations. Dans cette perspective, les rapports de production ne sont qu’une modalité parmi d’autres de la stratégie populiste. Si cette stratégie – dans le sillage de Wall Street Occupied qui a mis en avant le célèbre 1% – pointe les inégalités de répartition de richesse et de plus-value, elle fait totalement l’impasse sur l’emprise idéologique et pratique du libéralisme. Quand bien même les richesses seraient mieux réparties, on voit mal en quoi l’emprise du marché serait amoindrie, on pourrait même soutenir que l’exploitation capitaliste s’en trouverait renforcée.

Cette stratégie, dont la capacité à créer du commun est réelle, sous-estime toutefois la force du marché dont l’ubérisation est la pointe avancée. Alors qu’aucun secteur de la production ne lui échappe et qu’elle a profondément déstabilisé l’Etat et les services publics, informé les comportements individuels et collectifs, transformé les corps au travail, le rééquilibrage du partage des richesses s’apparente à une pensée magique.

Finalement, les travailleurs demeurent des « Rois dans la cité mais serfs dans l’entreprise » comme le disait Jaurès. Or, c’est bien l’expérience sociale du travail qui, dans une société de la marchandise, constitue le cœur des sources d’exploitation et d’inégalités, mais aussi des capacités créatrices d’autonomie et d’action qui peuvent servir de point d’appui à une conquête transformatrice du pouvoir.

JM @GHS