L’accord de branche, oublié du débat sur le travail par Philippe Askenazy

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grande-conso-pme-plus-plus-presentes-rayons-grandes-surfaces-fBien involontairement, le candidat Les Républicains a élargi le débat sur le travail en mettant en lumière le statut des assistants parlementaires. Comme beaucoup de salariés du public, ces derniers sont en effet employés sur contrat privé. Et, comme des centaines de milliers d’autres travailleurs, ils ne sont pas couverts par un accord de branche professionnelle. Ils se retrouvent donc seuls face à leur patron, fût-il député. Et en l’absence d’un référentiel, l’arbitraire de l’employeur, par exemple pour fixer la rémunération, domine. Or les branches jouent un rôle majeur pour l’équilibre social en France. Couvrant plus de 90 % des salariés de droit privé, elles fixent des minima de rémunération ou organisent des avantages, par exemple liés à l’ancienneté. L’extension par l’Etat de la couverture des accords de branche à toutes les entreprises qui en font partie est un moyen d’éviter une trop forte concurrence au sein d’une profession à coups de dumping social. Cette mission de « réguler la concurrence entre les entreprises » est même désormais inscrite dans le code du travail (Article L2232-5-1).

Le jeu complexe des minima

La classification professionnelle favorise également la fluidité des transitions au sein de la branche, ce qui bénéficie à la fois aux employés et employeurs. L’effet agrégé sur l’emploi est toutefois ambigu, car on peut arguer que le passage d’une branche à une autre peut être freiné par les classifications.

Le jeu des minima dans le cycle économique est également complexe. Selon les estimations de la direction des études du ministère du travail (Analyses n°33, mai 2015, Dares), la revalorisation des minima lors de la récession de 2008-2009 a soutenu les salaires, et donc la demande. Mais, plus récemment, ces accords ont participé à la faiblesse de la progression salariale et au gonflement des marges des entreprises.

En revanche, la couverture conventionnelle limite clairement les inégalités salariales au sein des entreprises et entre entreprises. Outre-Rhin, l’effondrement de la part de salariés couverts – autour de 60 % –, précipité par les lois Hartz, a accentué les inégalités et surtout le nombre de travailleurs pauvres, que l’introduction d’un salaire minimum depuis 2015 tente d’endiguer. Ebranler l’édifice conventionnel est risqué.

La loi travail s’y est pourtant aventurée. Au nom de la diversité des entreprises, elle a consacré la primauté des accords d’entreprise en matière de temps de travail, et a donné deux ans aux partenaires sociaux pour définir les domaines où les entreprises ne peuvent pas déroger à l’accord de branche.

Pour tenir compte du coût local de la vie

Mais si les entreprises sont diverses, c’est aussi parce que leurs activités peuvent être spécifiques et les territoires hétérogènes ; cela devrait donc justifier le maintien de la diversité de branches distinctes, et même de multiplier des branches territoriales qui, par exemple, tiendraient compte du coût local de la vie.

Or, au contraire, la loi travail enclenche un processus de réduction drastique du nombre de branches (de 700 à 200) par fusion. L’objectif est de faire disparaître celles qui n’ont que de faibles effectifs (moins de 5 000 salariés) ainsi que les branches régionales, tout en permettant à une branche nationale de signer des accords dont le périmètre est local.

Pourtant, malgré leur rôle important pour l’économie et la société française, le plus grand flou règne sur la question des branches dans les projets des principaux candidats. Marine Le Pen se contente d’une ligne en prônant l’abrogation de la loi travail. Benoît Hamon se concentre sur le renforcement de la syndicalisation.

Jean-Luc Mélenchon promeut de nouveaux droits pour les salariés et une citoyenneté dans l’entreprise. Les éventuelles propositions d’Emmanuel Macron ne sont pas connues. François Fillon souhaite, lui, « rénover le dialogue social » avec un code du travail réduit à des normes sociales fondamentales renvoyant « le reste » (sic) à la négociation collective dans les branches et les entreprises ; mais il ne précise pas les prérogatives et la hiérarchie de ces deux niveaux de négociation.

Philippe Askenazy (Chercheur au CNRS/Ecole d’économie de Paris)