«La colère de Mélenchon va bien au-delà d’un coup de sang ou d’un coup de com’», Arnaud Benedetti
Nous mettons en ligne sur notre site l’un des rares articles qui utilise une grille d’analyse politique de la séquence ouverte par les perquisitions menées contre la France insoumise le mardi 16 octobre.
FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour Arnaud Benedetti, la réaction de Jean-Luc Mélenchon concernant sa perquisition n’est pas une simple stratégie de communication. C’est surtout le reflet d’une tendance de fond : la méfiance et le rejet des institutions.
C’est un moment. Un moment qui électrise tout une petite société, l’hinterland de l’histoire sans doute mais dont on mesure qu’il pourrait annoncer des vents très forts, si jamais à force de déceptions, d’échecs, et de maladresses, les offres politiques de gouvernement ne parvenaient plus à endiguer les mécontentements et autres ressentiments.
À la semaine survoltée de Monsieur Mélenchon, rien ne serait plus hypothétique que d’y plaquer une grille de lecture exclusivement conjoncturelle. Par-delà les faits, le buzz, les images, les polémiques et autres controverses, les indignations mimétiques des uns opposées et répondant aux outrances des autres, c’est à une autre interprétation que nous devons peut-être nous essayer Quelque chose de plus révélateur des tectoniques politiques profondes en vient sans doute à ébranler la scène démocratique. L’insoumis est peut-être écrasé par sa colère, par son talent qu’il sait grand également, mais un autre facteur structure sa vision des choses. Le calcul est indexé sur une anticipation dont la rationalité opère au carrefour de la sociologie et de la politique. On aurait tort de tout réduire au prisme du jugement communicant immédiat les dernières sorties du héraut de l’insoumission.
Il faut voir loin, haut et avec l’élan nécessaire, ce qui se joue dans le bras de fer qui s’est noué depuis une semaine entre Monsieur Mélenchon d’un côté, le pouvoir, l’appareil judiciaire et les médias de l’autre. Dans le fond, le leader tribunitien convoque les forces irréductibles des événements. La radicalisation sémantique et comportementale à laquelle il s’adonne repose sur une appréciation donnée de la situation: les fractures sociales, le sentiment croissant d’injustice, le rejet des élites offrent un terreau propice à tous les incendies. En bon observateur de la chose révolutionnaire, il sait que la politique n’est que l’allumette de l’histoire. Jean-Luc Mélenchon spécule sur un bouleversement de ce que Tocqueville appelait «l’état des mœurs» , c’est-à-dire cette assise aussi mentale que morale qui rend acceptable des institutions, modère, pour reprendre le mot de Machiavel «l’humeur» des peuples, instaure une forme de mesure dans l’expression des rapports de force au sein de l’espace public. Le déploiement policier, assez exceptionnel au demeurant, dont son mouvement a été l’objet traduit paradoxalement l’immodération qui vient, y compris dans le fonctionnement des institutions. L’ancien magistrat Hervé Lehman a souligné avec pertinence dans ces mêmes colonnes la dimension exorbitante des moyens qui ont accompagné la perquisition au regard des faits reprochés au leader de «La France insoumise». Tout se passe comme si de part et d’autre les conditions d’exercice et d’acceptabilité de la démocratie libérale vacillaient, tant dans la pratique des institutions par ceux qui en sont les dépositaires que dans leur appropriation par les opinions. C’est bien plus qu’une séquence qu’illustre à sa façon le coup de sang de Monsieur Mélenchon mais un moment où se cristalliserait et se visualiserait l’annonce d’une bascule. En d’autres termes et sur un autre ton, mais avec une identique certitude, inquiète cette fois, le Président de la République n’a rien dit d’autre lors de son allocution post-remaniement en recourant à une rhétorique explicitement dramaturgique pour caractériser les temps que nous traverserions, quand bien même sa lecture s’appliquerait prioritairement à l’évolution d’une Europe dont il se rêve en sauveur
Les excès de Monsieur Mélenchon sont le produit d’une époque, et il conviendrait d’abord de les lire comme tels et non avec cette paresse qui consiste à n’y voir qu’une faute de com’, ou l’expression d’un ego démesuré en surchauffe psycho-politique. Quelque chose se fissure que la mediasphère, sans doute, amplifie mais qui s’enracine dans ce qui de près comme de loin relève d’un autre phénomène: les mœurs se reconnaissent de moins en moins dans les institutions, leur fonctionnement, les professionnels censés les incarner et les opérer. Ce hiatus grandissant, aucune com’, aucun spin doctor ne peut non seulement l’apprivoiser, mais le comprendre car il se développe sur le refus de la com’, du politically correct, des conformismes d’analyse et de pensée à partir desquels se fondent et se légitiment, dans un même moment, les pratiques de gouvernance et de communication.
Tout se passe comme si l’inaltérable sentiment de solidité de notre ancrage institutionnel se désagrégeait sous nos yeux. Du fin fond de cet «entre-deux», entre l’à-bout-de-souffle d’un régime et l’indicible de temps encore informes, prospère ce que les élites, au prix de leurs pires cauchemars, désignent sous le vocable volontairement dépréciateur de «populisme». Passé les premières émotions et réprobations portées par l’instantanéité médiatique le travail de sape, inexorable, continuera sa métastase. C’est ce constat qui fonde le pari de Jean-Luc Mélenchon: le moment est venu d’accélérer dans une atmosphère de décomposition que tout le monde pressent mais n’ose sur le fond reconnaître et regarder en face. Lui, Mélenchon ne doute pas de son diagnostic ; à tort ou à raison, à la roulette des événements, il est le «joueur» qui, emporté par son intuition, mise gros pour s’approprier tous les gains. Il ne construit pas sur l’instant mais sur la dynamique dont il estime qu’imprévisible par nature, elle est habitée néanmoins par un rejet grandissant des vieilles structures dont le «nouveau monde» ne serait que la queue de la comète. C’est à cette liquidation qu’il se prépare , non sans audace, estimant que si le populisme a un avenir en France c’est en partant de la gauche, de son imaginaire qui en dépit de toutes ses erreurs historiques n’en demeure pas moins «fréquentable», à l’inverse de son jumeau qui à droite resterait enfermé dans l’enfer de la désapprobation. À ce jeu, Mélenchon ne gagnera peut-être pas mais il aura apporté sa contribution essentielle à «la cause du peuple» dont il se veut le porte-voix . Se moquant de la com’, il la piétine dans ce qu’elle dit de la bienséance des institutions, des convenances auxquelles elle s’attache pour préserver l’ordre systémique des tenants d’une pensée consensuelle, mollement définitive, quasi-unique. Il réintroduit la politique dans ce qu’elle exprime de conflictualité et de rapports de force à vif contre une politique de basse intensité, d’usage prioritairement technique et d’alternatives faibles. C’est à l’aune de la durée, et non le nez sur le sismographe de l’instant,t qu’il faudra évaluer le coup d’éclat de Monsieur Mélenchon.
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