Loi Blanquer: la seconde mort de l’école primaire

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site25_ecoles_r2018-7595dEn 1982, l’historien de l’éducation Antoine Prost publiait un article intitulé « Quand l’école de Jules Ferry est-elle morte ? ». Il y expliquait qu’avec les réformes de la période gaullienne, la fonction de l’enseignement primaire avait été profondément modifiée. Elle cessait d’être « l’école du peuple », de 6 ans à 14 ans, pour devenir un degré préparant les élèves au premier cycle du secondaire. Alors que la loi « Pour une école de la confiance », dite Blanquer, est en discussion en 1ère lecture à l’Assemblée nationale, les articles et amendements adoptés apportent de profonds bouleversements à la structure du système scolaire. Elle porte en elle une seconde mort de l’école primaire de Jules Ferry.

La café pédagogique, titrant un post « L’école du socle adoptée au bulldozer« , résume ainsi la portée de l’amendement AC501 adopté le 15 février :

« Toute l’organisation du système éducatif du premier degré vient d’être dynamitée par la loi Blanquer. L’assemblée nationale a adopté en quelques minutes par 35 voix contre 7 l’établissement public des savoirs fondamentaux, autrement dit l’école du socle. Là où les collectivités locales et le recteur le voudront, les collèges et les écoles seront regroupées. Ce regroupement devrait libérer des milliers de postes et faire sauter la plupart des directeurs. »

Exposé sommaire de l’amendement 

Le présent amendement vise à permettre le regroupement d’écoles avec un collège au sein d’un même établissement public local d’enseignement, à l’initiative des collectivités territoriales de rattachement de ces écoles et de ce collège. Ce type d’établissement ne doit être mis en place que là où les communautés éducatives l’estiment utile.

Ces établissements pourront regrouper les structures scolaires d’un même bassin de vie, entendu comme le territoire au sein duquel les interactions économiques, les relations entre collectivités, le réseau de transport existent et sont en lien.

Ces structures permettront de faciliter le parcours et le suivi individuel des élèves de la petite section à la troisième. Elles permettront aussi à de très petites écoles (la moitié des 45000 écoles de France comptent moins de 4 classes) d’atteindre une taille critique rendant possibles certains projets pédagogiques ainsi que des collaborations entre enseignants de cycles différents.

Cet amendement met en œuvre une des préconisations de la mission flash sur les directeurs d’école, présentée par Valérie Bazin-Malgras et moi-même à notre commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Les tâches qui incombent aux directeurs d’écoles, sans aide administrative et avec très peu de décharges dans les petites écoles, pourraient ainsi être réparties entre le directeur-adjoint et l’équipe administrative du collège.

Enfin, la spécificité de chacun des degrés et des cycles est bien conservée à travers le maintien de chacun des conseils existants.

Sylvie Plane, ex vice-présidente du CSP, fournit une analyse détaillée des conséquences de cette décision sur les écoles primaires.

Si cette décision devrait être confirmée en seconde lecture, on assisterait alors à un véritable tremblement de terre affectant le système éducatif. 

D’une part, cette mesure conduirait un réduire encore un peu plus le maillage territorial qu’assure l’école primaire. Pour nombre de collectivités locales, le regroupement des écoles à proximité des collèges assurera des économies substantielles.

D’autre part, cette décision assurerait à l’éducation nationale des économies en postes de professeurs des écoles en augmentant mécaniquement les effectifs par classes. 

Alors que le mouvement des Gilets jaunes s’enracine dans les conséquences néfastes de la désertification croissante des services publics, et que le « grand débat national » bat son plein, cette décision imposée relève d’une conception technocratique du pouvoir. L’école primaire, longtemps « service de proximité par excellence » (Mona Ozouf) risque de s’éloigner des territoires.

Enfin, celle décision, si elle devait être confirmée, doit être articulée à la réforme du second cycle du secondaire (lycée). La réforme Blanquer du lycée consiste fondamentalement dans la mise en place du fameux continuum -3/+3, c’est-à-dire à rattacher les lycées au supérieur. En décidant de fondre les écoles dans le premier cycle du secondaire, le ministre Blanquer dynamite le secondaire pour le couper en deux entités : un primaire prolongé par une « école moyenne » et un secondaire réduit au lycée.  Si cette solution a été au centre de débats éducatifs jusqu’aux années 1960 et si historiquement « l’école moyenne » a été rattaché au secondaire plutôt qu’au primaire, on peut craindre une déstabilisation de l’ensemble du système scolaire. Cette profonde transformation porte également en elle le danger d’un retour aux années 1970 pendant laquelle le lycée était peu accessible aux élèves. Le cycle ouvert par la « seconde explosion scolaire » semble être sur le point d’être définitivement clos.

Jérôme Martin @GHS