Inégaux face à la pollution : tout commence au travail par Valérie Schneider
20 septembre 2016 – Près d’un salarié sur trois respire des fumées ou des poussières ou est en contact avec des produits dangereux pour sa santé sur son lieu de travail. Un sur dix est exposé à au moins un produit cancérogène. Ce sont d’abord les travailleurs des milieux populaires qui subissent ces nuisances.
Porter des sacs de ciment à longueur de journée sans protection, cela use le corps, mais cela constitue aussi un risque pour vos poumons à cause de la poussière de silice qui s’y incruste petit à petit. Près d’un tiers des salariés sont exposés à des risques d’infection, trois sur dix respirent des poussières ou sont au contact de produits dangereux, selon le ministère du Travail [1] (données 2013). 16 % travaillent dans le bruit et un sur dix est exposé à un produit cancérogène. S’il existe des inégalités en matière d’environnement, de pollution ou de nuisances, c’est dans le travail qu’elles sont les plus grandes, bien avant le lieu de vie. Et le milieu social détermine une grande part de la pollution ainsi subie.
Les deux tiers des ouvriers déclarent respirer des fumées ou des poussières sur leur lieu de travail contre un cadre supérieur sur dix. Cinq fois plus d’ouvriers que de cadres subissent des nuisances sonores, 52 % sont en contact avec des produits dangereux contre 13 % des cadres. Les employés sont deux fois plus nombreux que les cadres à être exposés à des risques infectieux. L’écart est encore plus important en ce qui concerne l’exposition à au moins un produit cancérogène [2] – comme l’amiante – selon le ministère du Travail [3] (données 2010) : douze fois plus d’ouvriers qualifiés que de cadres sont confrontés à ce risque environnemental.
Et encore, nous avons seulement repris des données très générales par grandes catégories socioprofessionnelles. Si l’on rentre dans le détail, certaines subissent davantage les nuisances environnementales : deux tiers des ouvriers qualifiés, plus d’un agent de maîtrise [4] sur deux, respirent des poussières ou des fumées. 60 % des professions intermédiaires exerçant dans le secteur de la santé sont exposés à des risques infectieux.
Les travailleurs les moins qualifiés sont les plus confrontés aux nuisances de l’environnement de travail. Des salariés souvent jeunes, mal rémunérés, à qui l’on fait subir les conditions de travail les plus dégradées. Ce n’est pas le cas pour les produits cancérogènes dont la manipulation demande un minimum de qualification : la part de salariés exposés est plus grande chez les ouvriers qualifiés (28 %) que chez les ouvriers non qualifiés (19 %).
Des inégalités qui s’accroissent
Bien sûr, il ne faudrait pas se méprendre, les conditions de travail d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec celles des années 1950. On utilise de plus en plus de protections, on filtre mieux les poussières. Mais les progrès dans ce domaine ne sont pas linéaires. Hormis pour les poussières, l’environnement de travail s’est plutôt détérioré entre 2005 et 2013, qu’il s’agisse des produits dangereux, des risques d’infection ou du bruit [5]. Surtout, alors que la situation des ouvriers s’est dégradée, celle des cadres supérieurs est quant à elle restée stable (excepté pour les risques infectieux). La part d’ouvriers qui respirent des poussières a progressé de deux points quand elle a baissé quasiment d’autant pour les cadres. La part de ces derniers en contact avec des produits dangereux a augmenté d’un point mais de 3,4 points pour les ouvriers. Les écarts se sont donc nettement creusés en seulement huit années. Pour le reste, les variations sont relativement semblables. En comparaison à d’autres nuisances, la part d’ouvriers exposés au bruit a relativement peu augmenté, de 30 à 31 %. Encore ne faut-il pas oublier le niveau subi : près de deux tiers travaillent toujours avec un fond sonore considérable. Pour l’ensemble des salariés, l’exposition à des risques infectieux est la nuisance qui a le plus augmenté : ils étaient 33 % à y être confrontés en 2013, contre 28 % en 2005.
La question de l’environnement occupe largement le débat public. Mais il s’agit bien plus souvent de bien manger ou de respirer un air pur (préoccupations majeures des élites diplômées de centre-ville) que de protéger les travailleurs des agressions de leur environnement. Pourtant, en la matière, les risques et les inégalités sociales sont énormes. Les conditions de travail des milieux populaires, invisibles des médias, sont très éloignées de l’univers aseptisé des bureaux et des ordinateurs silencieux. A l’usure du corps s’ajoute l’agression de l’environnement. Le travail c’est aussi le bruit, la chaleur, les poussières ou la manipulation de produits qui donnent le cancer. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’au cours des années récentes les écarts se sont accrus.
Avertissement
Faute de disponibilité des données, les comparaisons sur une longue période ne sont pas possibles pour toutes les nuisances liées à l’environnement subies au travail, d’où les périodes 2005 et 2013 présentées ici. Attention, l’évolution entre ces deux dates peut ne pas être linéaire. Une exposition a pu évoluer favorablement pendant ces huit années et ensuite régresser, ce que l’absence de données entre 2005 et 2013 ne permet pas de commenter.
Pollution au travail : les hommes bien plus souvent concernés
En 2013, 2,5 fois plus d’hommes que de femmes déclarent respirer des fumées ou des poussières sur leur lieu de travail, selon le ministère du Travail. De la même manière, deux fois plus d’hommes travaillent au contact de produits dangereux. Cet écart est particulièrement marqué au sein des professions intermédiaires : 36 % des hommes travaillent dans la fumée ou la poussière contre 11 % des femmes ; 38 % des hommes sont au contact de produits dangereux contre 19 % des femmes. En 2010, six fois plus d’hommes étaient en contact avec au moins un produit cancérogène. Les femmes ne sont cependant pas toujours en reste. 37 % sont au contact de risques infectieux en 2013, contre 29 % des hommes. Cette plus grande exposition peut s’expliquer par leur présence massive dans les secteurs de la santé et des services à la personne. Concernant ces risques, seuls les ouvriers y sont davantage confrontés que les ouvrières.
Pour en savoir plus :
« Les expositions aux cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Un zoom sur huit produits chimiques », Dares Analyses n°74, octobre 2015, ministère du Travail.
« Conditions de travail – Reprise de l’intensification du travail chez les salariés », Dares Analyses n° 049, juillet 2014, , ministère du Travail.
Photo / © Richard Villalon – Fotolia.com
Notes
[1] « Contraintes physiques, prévention des risques et accidents du travail », Synthèse.Stat’ n°10, 17 mars 2015, ministère du Travail.
[2] Gaz d’échappement des moteurs diesel, huiles minérales entières, poussières de bois, silice cristalline, plomb ou amiante.
[3] « Les expositions aux produits chimiques cancérogènes en 2010 », Dares Analyses n°054, septembre 2013, ministère du Travail.
[4] Sous-catégorie des professions intermédiaires.
[5] Il s’agit d’une appréciation subjective des intéressés eux-mêmes qui peut dépendre de l’évolution de leur sensibilité à ces questions.
Date de rédaction le 20 septembre 2016
Dernière révision le 15 février 2017
© Tous droits réservés – Observatoire des inégalités – (voir les modalités des droits de reproduction)